www.athle.com : Driss, personne ne vous attendait sur le podium du 3000 m de la Coupe du monde. Et vous, vous y croyiez ? Driss Maazouzi : Je m'attendais à faire une bonne course mais je ne visais pas le podium. Au final, je termine 3ème, juste derrière Bekele. Et lui, c'est une autre planète, ce n'est pas moi. Ce jour-là, j'avais largement les moyens de descendre sous les 7'40. Avant cette Coupe du monde, je savais que je pouvais faire un « truc ». J'avais les cannes pour faire un chrono. Mais ça a été une course d'attente. On part en 62' au 400 m puis Bekele met le turbo le tour suivant en bouclant le deuxième 400 m en 59'. J'ai senti que ça allait trop vite pour moi. L'Espagnol Jesus Espana, le champion d'Europe du 5000 m, a été le seul à suivre l'Australien Mottram et Bekele. Mais j'avais remarqué qu'il était déjà « dans le rouge ». Et, finalement, je le rattrape et je bats sur la ligne le Canadien Kevin Sullivan, qui a couru cette année le 1500 m en 3'32. Le vieux n'est pas complètement mort !
Comment expliquez-vous votre superbe fin de saison ? Le tournant, c'est quand j'ai appris que je pouvais participer au 1500 m du meeting de Monaco. J'étais presque en vacances puisque je n'avais pas réussi à me qualifier pour les Championnats d'Europe sur 5000 m. Il me restait deux semaines pour me préparer. J'avais un foncier extraordinaire, ce qui m'a permis de revenir très vite en forme.Et, avec un peu de travail spécifique, je cours en 3'35''43, mon meilleur temps depuis 2002. Ca m'a « ouvert la tête ».
C'est-à-dire ? Je doutais trop et la tête ne suivait plus. Quand, pendant deux ans, on n'arrive pas à s'en sortir, on se pose forcément des questions. Le déblocage a, en fait, été surtout psychologique. Pendant un moment, je me suis retrouvé complètement perdu entre le 1500 m et le 5000 m. Je cherchais et je ne trouvais pas. C'était un signe de faiblesse mentale. J'ai voulu beaucoup trop miser sur le 5000 m. Et je me suis compliqué la vie. Avec le recul, je sais désormais que je me suis trompé. Le jour des Championnats de France, je courais à Heusden (Pays-Bas) sur 5000 m !
Quel regard portez-vous sur cette période difficile ? Ce que j'ai vécu peut aussi arriver aux jeunes. Beaucoup de gens sont passés par des moments de doute. Mehdi (Baala) aussi d'ailleurs, après les Jeux Olympiques en 2004. Ce qui compte, c'est d'être bien entouré et d'avoir un groupe autour de soi. Les athlètes ont besoin d'un regard extérieur. Moi, je suis tout seul.
Et ça va changer ? Non, plus maintenant. Pendant les deux, trois ans qui me reste, je veux continuer à m'amuser : faire de la piste, du cross et même un peu de route. Je préfère ne pas me fixer d'objectifs à long terme. Ma fin de saison, c'est bon pour le moral. Mais je ne sais même pas encore si je serais aussi motivé l'année prochaine.
Justement, comment envisagez-vous la saison 2007 ? J'arrête le 5000 m pour me recentrer sur les courses qui m'ont toujours réussi : le 1500 m et le3000 m. Je maîtrise bien mieux les distances courtes. Sur 5000 m, je m'endors à partir du quatrième kilomètre. A Monaco, avec un peu plus de préparation, je pense que j'aurais pu courir en 3'32, 3'33. Mais je préfère dire : « j'ai fait » plutôt que « j'aurais pu faire »...
Avec de tels temps, vous pouvez rivaliser avec les meilleurs ? Oui, car le haut niveau mondial sur 1500 m n'a aujourd'hui plus rien d'exceptionnel. Les performances ont beaucoup baissé depuis que Hicham (El Guerrouj) est parti. Il servait de lièvre de luxe à tous les coureurs, moi y compris, puisque j'avais battu le record de France lors d'une de ses victoires. Avec lui, on ne s'occupait de rien. On n'avait qu'à le suivre pour faire un chrono. Après son départ, il n'y a pas eu de relève. Personne n'a les épaules assez solides pour se comporter en patron. Donc toutes les courses sont ouvertes pour le podium. On l'a bien vu lors des derniers Championnats d'Europe : à part Mehdi, personne n'a été impressionnant.
On vous sent animé d'un fort esprit de revanche... Peut-être que certaines personnes ont, à un moment, perdu confiance en moi. J'ai envie de leur dire qu'elles n'ont pas eu raison. Beaucoup ne jugent que sur l'âge alors que ce sont les performances qui comptent. J'ai perdu un ou deux sponsors. On m'a seulement dit que j'étais trop vieux et trop blessé. Pourtant, en 2003, je suis champion du monde en salle sur 1500 m et, en 2004 et 2005, je termine 3ème des championnats d'Europe de cross. Je n'ai donc connu aucune année blanche. Que des proches, comme les sponsors ou des gens sur qui tu pensais pouvoir compter, te laissent tomber sans raisons, ça me révolte. Et c'est ce qui me donne encore envie de réussir. |