Il a regagné son camp de base, et le geste lent, il replie tant bien que mal sa toile de tente. Sa femme, ses gosses voudraient faire en ses lieu et place, mais rien à faire, il veut assumer jusqu'au bout. Un peu comme si le héros qu'il fut ces dernières 24 heures voulait prolonger le temps, avant de retourner à l'anonymat.
Sur ce stade de Beaulieu, un peu après 11 heures du matin, l'émotion est retombée : Brigitte Navarro et Daniel Fayon ont coiffé la couronne de lauriers qui consacre les vainqueurs. Fayon, déjà gagnant l'an dernier, a pris la tête dès le début de l'épreuve : il a un tableau de marche, il le respecte et même, après 7 heures de course, il est un peu en avance malgré la chaleur lourde qui règne sur Roche-la-Molière ; il tourne à 10,5 de moyenne et le rythme ne s'est guère ralenti après 12 heures : 125 km au compteur.
Mais dans la nuit, l'objectif semble plus difficile à atteindre : il y a un passage délicat derrière la tribune, et son coach, son frère, a dû lui éclairer la route. Plus tard, il terminera les derniers tours en compagnie de son second, Daniel Martin ; tous deux boucleront l'épreuve en un peu plus de 200 km. Quant à Brigitte Navarro, première féminine, elle est 15e au scratch tout près des 154 km.
Un peu plus tard, elle traverse le stade en boitillant soutenue par Manuel son mari qui l'a supportée tout au long des 24 heures en courant avec elle. Ce qu'elle ressent ? « Une grosse fatigue ». Pour sa 9e participation, elle a pourtant dépassé son objectif : elle s'était fixé 151 km. Bien vu. Un peu avant, Daniel Fayon décompressait : le regard fixe, il ne peut plus quitter la chaise sur laquelle il s'est arrêté ; le visage marqué, il peine à trouver ses mots : « Un coup de barre, un coup de décompression, explique-t-il, tous les muscles se relâchent » Il est resté en dessous de ce qu'il espérait parce que le parcours est « dur, le sol peu stable par endroits ».
Fayon - Navarro, duo gagnant, mais ce ne sont pas les seuls. Il y a aussi le dossard 125, venu pour « l'amour de la course à pied ». Et quand on demande à ce concurrent ce qui le motive vraiment, voici la version qu'il délivre: « C'est du domaine de la métaphysique ; on est sur un nuage, c'est l'euphorie, du type de celle que procure certaines substances. » Éclats de rire.

Nouveau circuit : pour ou contre ?
Il y a aussi Marie Claudia qui termine 62e après avoir couvert 90 km. Pas tout à fait un hasard, car Marie est née en juin 1917. Faites vos comptes, voilà une dame qui aura sous peu 90 ans. Est-ce bien raisonnable ? Il y a aussi Michel, ce prof de gym, « pièce rapportée dans une équipe de copains » ou Monsieur Max, qui régente le parking du haut de ses 85 ans et de sa petite taille, et qui arbore fièrement ses nombreuses médailles d'or. Il est libre, Max ! Il y a encore Christian, « les mains du miracle », qui remet d'aplomb les bleus du corps et de l'âme et qui, pour soigner une douleur à la jambe droite, manipule la gauche. Et vice-versa. Il y a enfin ces équipes qui se retrouvent autour d'un barbecue au terme de la course, car il y a la course et tout ce qui se passe autour.
Mais il y eut aussi ce débat autour du nouveau circuit, réservé aux individuels. En procureur, Alain Poyet, 5 fois vainqueur et qui sait donc de quoi il parle : trop de virages, trop de soleil - « 22 heures sur 24 » - pas assez de cette solitude indispensable la nuit pour se ressourcer ; il y eut même dit-on quelques frictions au coeur de la nuit. À la défense, Brigitte Navarro, qui a apprécié de n'avoir pas à craindre d'être bousculée par les membres des équipes au rythme forcément plus élevé, et en juge de paix, Daniel Sallien, le maître de céans, qui pense que la solution, ce sera peut-être d'offrir le choix aux coureurs. Mais cela, on le saura lors de la 12e édition, l'année prochaine, à peu près à la même époque. Rendez-vous est pris avec Monsieur Max, Marie Claudia, Brigitte, Daniel, Michel, Nadim, Christian et tous les autres, ces héros anonymes.
PHILIPPE DÉCOT